Les pierres composées

Historique
Les pierres composées étaient déjà connues au temps de l’Empire Romain. Le fameux naturaliste Pline II mentionna le soi-disant Jaspis Terebinthisuza, une pierre ornementale de 3 pierres de couleurs diverses et composée avec de la térébenthine Vénitienne. En 1502 Camille Léonard, ainsi que Benvenuto Celini (1500-1571) décrivirent diverses variétés de doublets. Au 19 et 20e siècle on produisit en Italie de grandes quantités de gravures (intaglio) sur verre qu’on colla sur des fines plaquettes de gemmes naturelles.
 
En 1850 on découvrit les premiers doublets Grenat/Verre et en 1869 les procédés de production de pierres composées furent décrites par Schrauf. Une évolution intéressante débuta vers 1920, quand les colles relativement peu stables comme la gélatine et l’huile de térébenthine, furent remplacées par du verre fondu. Les premières pierres composées du type Soudé étaient une combinaison de 2 morceaux de quartz accolés l’un à l’autre par une couche de verre coloré. L’accolage des 2 morceaux de quartz se faisait par le brûlage de la fine couche de verre intermédiaire, provoquant sa fusion.
 
En 1931 on produisit une autre pierre type Soudé, dont les deux parties étaient du béryl incolore avec une couche intermédiaire de verre vert ; en 1951 on refit la même chose,mais avec les 2 parties en spinelle synthétique. En 1958 on décrivit les triplets en jadéite.
 
En 1966 la firme Viktor Kämmerling de Idar-Oberstein commercialisa des pierres composées type Soudé en béryl incolore non accolées par brûlage, mais par un produit artificiel. Dans le commerce, elles étaient connues sous le nom Smaryll.
 
Encore en 1955 on commercialisa une pierre synthétique du nom de Fabulite (titanate de Strontium). C’était une imitation de diamant, mais à cause de sa dureté relativement basse (6), on s’aperçut qu’elle se rayait assez facilement. On ne trouva donc rien de mieux que d’en faire une pierre composée avec la partie inférieure en fabulite et la partie supérieure en spinelle ou corindon incolore synthétique.
 
Dans les années 70 survint un développement intéressant et inhabituel avec comme exemple les fameux doublets ou triplets mosaïques d’Australie ou les pierres composées avec les 2 parties en verre ou en matière artificielle avec une couche intermédiaire en cristaux liquides. L’effet surprenant était le changement de la couleur en fonction de la température. Elles étaient vendues sous le nom de Mood Stone, Impulse Stone ou Sensor Stone.


Nomenclature
Les pierres composées sont répertoriées en doublets et triplets. Pour la plupart des spécialistes, il est admis que les doublets sont composés de 2 parties et les triplets de 3. Max Bauer décrivit en 1909 dans son livre Edelsteinkunde sous la rubrique contrefaçons des doublets composés de 2 pierres morcelées. Schlossmacher en 1969 décrivit la notion de doublet comme une pierre étant composée de 2 ou plusieurs pierres. La dénomination triplet n’est employée chez lui que pour l’opale (cristal de roche/opale/opale ou cristal de roche/opale/verre) et le jade (jadéite/couche de colorant vert/jadéite).
 
Eppler(1973), Gübelin(1974) et Webster(1994) emploient la classification actuelle à doublet = 2 composants et triplet = 3 composants. Webster mentionne également que cette classification est employée en Europe mais qu’en Amérique du Nord par contre les pierres composées de 2 pierres incolores avec une résine colorée intermédiaire sont considérées comme triplets.
 
La CIBJO donne la définition suivante: Les pierres composées sont des matériaux cristallins ou amorphes, qui sont composés de 2 ou plusieurs parties, de façon non naturelle mais à l’aide d’une résine ou autre méthode. Les composants peuvent être des gemmes ou autres minéraux ou des pierres synthétiques ou artificielles.
 
La définition la plus acceptée est un compromis entre les définitions Européennes et Américaines: Les pierres composées sont des matériaux cristallins ou amorphes, composées de 2 ou plusieurs parties et qui par collage, fusion ou brûlage finissent par former une unité. Les parties séparées peuvent être des pierres précieuses, des pierres synthétiques ou d’imitation. On parlera de doublets quand un des 2 composants est responsable de la couleur et de triplet quand la couleur est la conséquence de la couche intermédiaire.

Application des pierres composées
Au début du 20e siècle les doublets étaient encore considérés comme contrefaçons pour les pierres précieuses naturelles et chères et comme tromperie pour les clients inexpérimentés; depuis 1950 par contre on acceptera l’emploi des pierres composées d’une façon plus rationnelle. Les principales raisons pour la fabrication de pierres composées peuvent être résumées comme suit :
obtenir une plus grande pierre au départ de petites pierres
obtenir d’autres et plus belles couleurs avec comme résultat une pierre avec un meilleur aspect général
des matériaux de dureté plus faible sont couverts d’une couche plus dure rendant la pierre plus résistante (moins rayable)
du matériel naturel n’existant qu’en fines couches peut être traité
production de produits de substitution bon marché en remplacement des gemmes naturelles.
Classification
Dans beaucoup de livres gemmologiques on trouve les classifications suivantes pour les différents types de pierres composées :
Doublets véritables composés de 2 pierres gemmes naturelles de couleur et pureté similaire et fabriqués au départ d’un cristal brut comme par ex. : diamant/diamant, rubis/rubis, saphir/saphir, émeraude/émeraude, jadéite/jadéite, etc…
Doublets semi véritables composés d’une partie supérieure en gemme naturelle et d’une partie inférieure en pierre de moindre valeur ou verre ou pierre synthétique: diamant/verre, diamant/cristal de roche, diamant/spinelle synthétique, saphir/saphir synthétique, béryl/verre, etc…
En relation avec leur application commerciale on peut distinguer quatre groupes :
Des doublets et triplets comme substitut ou imitation de pierres gemmes naturelles.
On trouve ici principalement la catégorie des pierres-Soudées, qui dépendant de leur résine colorée, imitent les pierres naturelles principales comme le rubis, saphir et émeraude. Pour obtenir ce résultat on emploie du béryl incolore ou du spinelle synthétique. Ces imitations ont été longtemps d’une grande importance commerciale, mais ont finalement été remplacées par les synthèses devenues de moins en moins chères, en particulier par les énormes quantités de corindons et spinelles synthétiques fabriquées d’après le procédé Verneuil et les émeraudes synthétiques hydrothermales provenant de Russie.
Par contre les triplets-Soudés composés de spinelle synthétique sont encore toujours en fabrication afin de pouvoir présenter une large gamme d’imitations en couleur comme par ex. la couleur améthyste, péridot, citrine, tanzanite, etc…
 
Dans le domaine des triplets béryl/béryl on trouve non seulement des pierres couleur émeraude, mais également couleur aigue-marine et morganite. En plus des béryls et spinelles incolores, on emploie également du verre incolore comme partie supérieure ou inférieure pour la fabrication de triplets du type Soudé.
 
La grande demande de nouvelles pierres comme la tanzanite ou les tourmalines Paraïba et autres pierres à la mode ont poussé les producteurs à fabriquer des imitations bon marché pour ce genre de gemmes. Le plus souvent on fabriquera des pierres-Soudées avec une couche de couleur appropriée.
 
A côté des triplets classiques de jadéite, on trouve actuellement des triplets avec parties supérieure et inférieure en verre incolore et entre les deux une mince plaquette de jadéite.
 
On emploie également des doublets grenat/verre comme imitation de tanzanite et des doublets tourmaline/verre comme imitation de tourmaline Paraïba. Dans les pierres de lune on trouve aussi des doublets, composés d’une fine plaquette typique de pierre de lune de Sri Lanka, surmontée par un collage de cabochon de cristal de roche.
 
Comme imitation de pierres étoilées, saphir ou rubis, on ne trouve actuellement pas seulement des doublets corindon synthétique/corindon naturel, mais également des doublets extraordinaires avec une partie supérieure en quartz accolée à une partie de verre colorée ou des triplets avec une partie supérieure en quartz, une partie intermédiaire en mince plaquette de verre coloré et une partie inférieure en calcédoine teintée. L’astérisme est provoqué par les inclusions croisées d’aiguilles de rutile dans le quartz. Les doublets étoilés sont produits en bleu et en rouge, mais également en jaune et orange.

Les pierres œil-de-chat sont imitées par ex. : la rare aigue-marine œil-de-chat par un doublet béryl/calcédoine.
 
     2. Pierres composées où une pierre moins dure est protégée par une pierre plus dure.
 
On trouve ici en particulier les triplets classiques d’opale: une fine lamelle d’opale collée sur une partie inférieure en opale normale (potch), onyx ou verre noir (opalite) et recouverts d’un matériau incolore à plus haute dureté (donc moins rayable) comme du cristal de roche, verre, spinelle ou corindon synthétique. Et les doublets spinelle synthétique/fabulite ou corindon synthétique/fabulite. Un matériau singulier sont les doublets ou triplets d’ammolites. Ces pierres provenant du Canada sont en fait de très fins restes iridescents de coquilles. Ces minces couches sont collées sur une ardoise d’argile (doublets) et parfois partiellement recouvertes de cristal de roche ou de spinelle synthétique incolore (triplets) pour augmenter la dureté (ou diminuer le rayage).
 
     3. Pierres composées de matériel-gemme n’existant qu’en fines couches ou n’étant attrayant qu’en fines couches.
 
Dans ce groupe on trouve les doublets et triplets d’opale. L’opale-gemme Australienne ne se rencontre souvent qu’en fines lamelles, ce qui ne facilite pas sa commercialisation. Les gemmes retirées de leur roche-matrice (matrix) sont collées sur différentes bases et recouvertes par un matériel moins rayable.
 
Ces dernières années on trouve des pierres composées assez spéciales et non usuelles. Parmi celles-ci on trouve des découpes de tourmaline, qui ne sont transparentes qu’en minces lamelles, et qui sont collées sur des fines plaquettes en verre ou autre matériel artificiel pour ensuite être facettées et polies. Ce genre de pratique est également exécuté avec des rubis opaques ou translucides Est-Africains, qui sont collés sur des plaquettes de verre ou de cristal de roche, et ensuite facettés et polis. Un autre exemple est le traitement identique pour la roche goodlétite, contenant du rubis, dont de fines plaquettes sont collées entre deux parties de cristal de roche.
 
     4. Pierres jointes
 
Dans son sens large, on peut également parler d’une certaine forme de pierres composées. A cette catégorie appartiennent par ex. les tourmalines bicolores, composées d’une partie verte et d’une partie rose et qui sont collées l’une à l’autre. Un autre exemple sont les imitations trapiches, formées par accolage de fragments d’émeraude.
 
Intéressantes aussi sont les pierres composées, jointes entre-elles par des filaments métalliques (comme de l’or par ex.). Les parties composantes peuvent être du quartz (agate) et de l’opale ou toute autre sorte de pierres précieuses.
 
Identification
 
Si la pierre n’est pas montée, alors la méthode la plus simple est de l’immerger dans un liquide comme de l’eau. On pourra immédiatement discerner les parties colorées et non colorées. Cette observation peut également se faire dans un liquide à immersion et à l’aide d’un microscope. Avec un bon agrandissement (loupe ou microscope), on peut facilement découvrir la couche de colle ou de couleur aux environs du rondiste. Dans ces couches on peut également trouver des bulles d’air. Même si le collage se fait sous vide, on ne peut pas toujours éviter la fabrication de bulles d’air, à cause de la viscosité des produits employés. L’emploi de résines de mauvaise qualité et non résistantes aux UV, peut provoquer des changements de couleur dans la couche de collage. Ex. : on peut causer une couleur verte en mélangeant des duroplastes bleus et jaunes; parfois le composant jaune au centre de la pierre composée est perturbé et fait naître un zonage de couleur bleue. Des températures élevées (réparation du bijou) peuvent être la cause d’un décollage partiel avec comme résultat l’introduction de vapeur entre les deux parties, ce qui rend la pierre trouble.
 
Dans les cours de gemmologie, on avertit les élèves de toujours se méfier des pierres serties (serti clos = grand danger). On ne peut éventuellement que faire une lecture au réfractomètre de la partie supérieure. Seule l’expérience nous amène à constater des caractéristiques indiquant des doublets ou triplets.

Bibliographie
HENN, U (1995) Edelsteinkundliches Praktikum – Idar-Oberstein, DGemG
HENN, U (2002) Gemmologie –Zusammengesetzte Steine –Z.Dt.Gemmol. Ges 51/1,13
WEBSTER, R (1994) Gems – 5e Ed. Oxford, Butterworth/Heinemann
 
Roger DEDEYNE - Janvier 2004
Traduit en français par André STRUYE