De la biologie ... à la gemmologie

Le vocable "pierres précieuses" évoque en général l'image de trésors de rubis de saphirs, d'émeraudes, de diamants, ou les couleurs multiples des spinelles, des chrysobéryls, des grenats, des quartz, etc... . Il évoque moins cette catégorie de pierres d'ornementations, précieuses pourtant par leur rareté et leur appartenance au monde des bijoux, précieuses par l'enseignement biologique que certaines d'entre elles révèlent. Parmi ces pierres précieuses "BIOLOGIQUES", j'évoquerai tout d'abord le CORAIL

LE CORAIL

Le polypier corallien mesure environ 1,7 mm de diamètre ; en forme de tube muni l'une de ses extrémités de 8 tentacules, il ressemble à une minuscule anémone de mer. C'est un zoophyte de la famille des ALCYONNAIRES ou OCTOCORALLIAIRES (cœlentérés) .
Vivant en colonies, ces animaux sont reliés entre eux par une sorte de tube (hydrorhiza) entouré lui-même d'une membrane (périsarque). Le tissu conjonctif de remplissage entre l'hydrorhiza et le périsarque est la matière-mère du corail : le COENOSARQUE .

Dans les colonies coralliennes règne la ségrégation sexuelle la plus rigoureuse Normalement une colonie ne comprend que des individus d'un même sexe. Si une colonie est bisexuée, les sexes occupent des branches séparées. Le mâle répand ses cellules fertilisantes dans l'eau environnante, quelques-unes d'entre elles pénètreront dans les polypiers femelles contenant les oeufs. Les oeufs fertilisés sont éjectés à leur tour et se développent sous forme de microscopiques méduses indépendantes dont quelques rares exemplaires parviendront au fond des eaux où ils se fixeront sur un galet, une roche, un crabe, voire une bouteille mais jamais sur une pièce métallique nue. Sitôt fixé apparaît alors à l'extrémité libre de l'œuf un bourgeon qui se développe rapidement pour devenir un polypier adulte .

Dès ce moment commence la sécrétion de carbonate de calcium (sous forme de calcite) autour du point d'attache donnant naissance au premier corail et à une nouvelle colonie. Le coenosarque se répand sur ce premier dépôt calcaire et le second stade de la reproduction s'amorce : un bourgeon se forme par germination dans le coenosarque, produit une protubérance qui devient bientôt un nouveau polypier.

Au fur et à mesure de la construction de la nouvelle colonie, le coenosarque extrait de l'eau de mer le carbonate de calcium et le redépose sous forme de spicules de calcite. Ces spicules sont munies d'un canal central et cimentés ensemble radialement : c'est le CORAIL .

Naissant tout d'abord au point d'attache du premier œuf, le carbonate de calcium grandit sous forme "d'arbre" qui grossit et sur lequel vont se former une série de branches secondaires latérales. Ces branches provoquent la silhouette bien connue des buissons coralliens, elles ne sont jamais symétriques. A leur tour elles peuvent produire d'autres branches secondaires, chacune sera plus mince que la branche-mère, les terminaisons sont arrondies et couvertes d'une couche très sensitive de coenosarque .

L'actuelle pollution maritime, ainsi que l'exploitation intensive des bancs coralliens provoquent une diminution alarmante de ce miracle naturel. Le corail, très sensible à la pureté de l'eau, ne grandit qu'entre 13 et 16 c°. On en trouve encore le long des latitudes englobant une bande qui comprend l'Irlande du Sud, la baie de Biscaye, Madère, les Iles Canaries, les Iles du Cap Vert, la Méditerranée et la Mer Rouge, l'archipel Malais et le Japon .

La composition chimique du Corail est essentiellement du carbonate de calcium avec une faible proportion de 3 % environ de carbonate de magnésium et sans doute des traces de fer. Suivant les régions, l'on relève de 1,5 à 4% de matières organiques.

La coloration du corail va du blanc (rare) au rouge sang (le plus recherché) en passant par toutes les nuances du rose, c'est la variété CORALLIUM RUBRUM. Le noir existe, ainsi que le bleuâtre, mais il est produit par D'autres polypiers à squelettes de kératine - Antipathes spiralis et Allopara subirolcea - L'agent colorant du corail rouge reste actuellement assez indéterminé, une hypothèse impliquant la présence de fer, l'autre faisant intervenir une matière organique.


L'AMBRE

L'ambre est une résine fossile et fait donc partie du règne végétal. Créé par la solidification de diverses résines qui se sont épanchées de certains pins mais particulièrement du PINUS SUCCINIFFRA, l'ambre est né pendant l'oligocène il y a environ 30 millions d'années. Il se compose en fait de diverses résines complexes, d'acide succinique et d'une huile volatile. Sa formule chimique admise en général est ClO.Hl6.0 tout en contenant parfois une petite quantité d'hydrogène sulfureux .

L'intérêt de l'ambre, en dehors de son emploi en tant que gemme, réside dans la quantité très importante de fragments de plantes et d'insectes parfois entiers que l'on y trouve. A cet égard cette matière constitue un merveilleux musée d'histoire naturelle dont les échantillons ont été miraculeusement conservés, malgré la glaciation qui eut lieu après cette période. On y trouve en effet pas mal de témoins disparus de l'époque tertiaire et parfois des fossiles d'âges plus anciens qui ont été englobée et conservés à l'abri des destructions.

La couleur de l'ambre varie du jaune pâle au rouge-brun-foncé, il est parfois appelé SUCCIN.
Les Grecs l'ont appelé ELECTRON (d'où électricité) parce que, frotté sur un tissus, il attire les particules légères (par ex. cendres de cigarettes").

LE BOIS SILICIFIE

Partant du règne végétal (dans son aspect morphologique) nous débouchons sur un phénomène extraordinaire celui du remplacement, particule par particule d'une plante par de la silice créant ainsi un fossile en CALCEDOINE (variété d'agate, famille du quartz cryptocristallin). En fait l'agate joue très souvent le rôle d'agent fossilisateur et il n'est pas rare de découvrir diverses matières organiques transformées en agate au cours des âges : troncs d'arbres, fragments de branches, os préhistoriques, coquillages.

L'agate est constituée par de l'oxyde de silice qui se teinte suivant là teneur en agents de diverses compositions. Sous le vocable général de CALCEDOINE l'on distingue par exemple la CALCEDOINE GRISE, LA CORNALINE ROUGEATRE, LA SARDOINE BRUNE, L'ONYX NOIR et les AGATES BANDEES. Les calcédoines se teintent très facilement.

Le miracle de la silification s'est perpétré tellement lentement que chaque particule organique a été pratiquement remplacée par des microcristaux de silice (quartz). Pour parfaire le mimétisme l'agate prend des coloris différents suivant la partie du bois qu'elle reconstitue. Il est merveilleux de voir un fragment de calcédoine en forme de tronc ou de branche d'arbre dont on peut reconnaître facilement l'essence par la sculpture de son écorce, où l'on retrouve l'aubier et même les cercles annuels.

Les colorations des agates en zones différentes restent en grande partie mystérieuses.
Quelques expériences s'appuyant sur diverses hypothèses ont été effectuées, mais aucune n'est totalement concluante.

Une théorie veut que l'agate se soit formée par l'infiltration d'un eau riche en silice dans des vides rocheux, se déposant couche par couche, mais ceci explique assez difficilement le mimétisme radial des bois agatisés

Une autre explication semble plus logique la silice se serait trouvée sous forme de masse colloïdale dans des cavités affectant une forme déterminée ou quelconque en présence de quelques sels métalliques. A un stade ultérieur, la silice est influencée par le filtrage d'une eau acide qui pénètre la cavité à son tour et transforme alors, par combinaison chimique, la solution colloïdale en gel semi-solide ; l'eau acide peut constituer un agent réactif avec les sels métalliques contenus dans le colloïde et provoquer une précipitation périodique qui donnerait dès lors naissance aux bandes colorées diversement .

Aucune de ces hypothèses ne satisfait entièrement et il est très probable que divers procédés simultanés ont eu lieu concurremment.


L'OPALE

La fossilisation par l'opale est, au même titre que le bois silicifié, quelque peu liée aux matières organiques non par son essence mais par sa fonction de minéralisation de ces matériaux.

N'étant pas cristallisée au sens large du mot l'opale est considérée comme un gel à l'état solide. Sa formule chimique admise est Si.02.n.H20 soit un oxyde de silice combiné avec 1 à 21 % d'eau. L'opale précieuse et irisée en contient de 6 à 10 %.

Ne possédant pas de couleur autre que le jaune pâle blanchâtre que l'on peut observer par transparence, les multiples irisations de l'opale précieuse sont dues à la décomposition de la lumière en interférences par réflexion et réfraction sur de très minces lamelles.

Ce n'est qu'en 1964 que l'on a pu observer les sphérules de silice amorphe, qui composent les lamelles, à l'aide du microscope électronique. L'arrangement tridimensionnel et cubique de ces sphères provoque la diffraction et le jeu des couleurs du spectre pur. La grandeur commande la diffraction d'une longueur d'onde déterminée et donc d'une couleur. La couche composée des sphères les plus petites ne peut que diffracter la lumière bleue, mais pas le vert, le jaune, l'orange ou le rouge.

Les sphères plus importantes diffractent aussi le vert, le bleu et le violet, tandis que les plus grandes produisent le rouge et toutes les longueurs d'ondes inférieures donc aussi le restant du spectre .

Par le même phénomène que la silification par l'agate, l'opale reproduit de magnifiques fragments de plantes, de mollusques et d'os fossiles.

Le pseudomorphisme s'étend parfois aussi à la forme complète de squelettes d'animaux et l'on cite parmi les plus grandes opales du monde celle qui est conservée au NATIONAL MUSEE DE NEW-YORK. Pesant 533 grammes, elle a la forme d'un fragment de tronc d'arbre ; une autre est l'ancien squelette d'un serpent marin fossile, le MOSASAURE .

Mais l'opale, curieusement, aurait une autre raison d'être citée dans le cadre de la biologie végétale : dans certaines régions du S.E. Asiatique quelques plants de bambous recèlent dans leurs nœuds de petits grains d'opale qui sont nés de l'entraînement des eaux chargées de silice par la sève de la plante. Constitué de molécules géantes de silice, la polymérisation provoque ici la solidification du gel de silice et donne lieu à la création de grains d'opale .

Hubert MORNARD
Revue S.B.G.1976